Suite à l’article Roman et drama se mobilisent contre les heures supplémentaires au Japon, j’ai eu la chance de m’entretenir avec la romancière Kaeruko Akeno, qui à gentiment accepté de répondre à mes questions. Ci-dessous, l’interview portant sur son roman Watashi, Teiji de Kaerimasu (Moi, je rentrerai à l’heure), véritable pamphlet contre les abus des entreprises japonaises.
Q. Tout d’abord, pouvez-vous nous parler du processus créatif de votre roman ? Avez-vous été inspirée par votre propre expérience ou celle des gens qui vous entourent?
R. J’ai travaillé huit ans et demi en tant qu’employée avant de devenir romancière. Ma première entreprise fonctionnait sur la base d’un horaire fixe, mais elle était discrétionnaire et focalisée sur le rendement. En conséquence, les heures supplémentaires, tard le soir, et l’absence de vacances sont devenues chroniques pendant les périodes les plus chargées, ce qui est évidemment susceptible d’endommager le corps et l’esprit.
La seconde, en revanche, était une compagnie dite « blanche», où la gestion de la main-d’œuvre était minutieusement mise en œuvre. Lorsque des heures supplémentaires étaient effectuées, il existait auprès de la hiérarchie un système permettant d’en comprendre la cause et de trouver des pistes de résolutions. Bien que le nombre d’heures supplémentaires en interne ait été presque nul, cela n’empêchait pas les employés d’afficher une motivation élevée ainsi qu’un grand dévouement, car ils étaient respectés par leur entreprise. La marge bénéficiaire, quant à elle, demeurait assez haute et les primes gratifiantes. Ce roman est écrit sur base de mon expérience durant cette période.
(NDLR: au Japon, on oppose les entreprises dites « noires», dans lesquelles la politique est assimilée au harcèlement et à l’excès, aux entreprises « blanches» où il existe un respect de l’employé en tant que personne)
Pour revenir sur ma première expérience, je me souviens d’une Française qui travaillait pour une autre entreprise, au même étage que le mien. Elle mettait l’accent sur sa vie privée et, pourtant, tout en faisant à sa manière, elle a obtenu des résultats extrêmement performants dans son travail. C’est à cette époque que la question de savoir s’il y avait un réel mérite à travailler aussi longtemps est née dans mon esprit.
Cette question ne me concerne donc pas uniquement, mais aussi mes amis et les employés en entreprise de manière générale. Ceux qui ont intégré une société pendant la période glaciaire de l’emploi, ont travaillé jusqu’à endommager leur esprit et leur corps. Ils ont suivi cette tendance basée sur les vertus de longues heures de travail instaurée par les générations précédentes, qui firent l’expérience de la réussite durant une période de forte croissance économique. Cependant, en travaillant de cette manière, je n’ai jamais eu le sentiment de remporter une quelconque victoire et j’ai donc ressenti le besoin d’en changer. Lorsque vous vous réunissez avec des amis, c’est une thématique qui revient d’ailleurs sans cesse. Il est évident qu’il s’agit d’un sujet auquel la génération actuelle porte un intérêt particulier.
Q. Diriez-vous que le drama est fidèle à votre roman ?
R. Je pense qu’il s’agit d’un point de vue intéressant qui va au-delà du roman. Quand j’ai reçu le script du drama, j’ai formulé quelques demandes: Je ne voulais pas que le contenu blâme les gens qui travaillent de longue date. En outre, j’ai ajouté que je ne voulait pas que l’héroïne soit une super-woman. Dans les drama dont la thématique est l’emploi, un héros similaire à superman fait justice et résout seul le problème qui touche son lieu de travail. Je n’aime pas cela. Conformément à ma demande, dans le drama, Yui Higashiyama est dépeinte comme une employée d’entreprise selon une échelle réaliste, capable d’assimiler diverses valeurs. Je pense qu’un des points positifs étaient que les producteurs soient des femmes de la même génération que Yui Higashiyama.
Q. Recommanderiez-vous de lire le roman avant de visionner le drama ou l’inverse ?
R. Je pense que cela dépend de la personne, si elle est plus à l’aise de se plonger dans un drama ou un livre. Il peut être plus difficile pour les étrangers de lire des romans japonais et, dans ce cas, le drama pourrait être une meilleure solution. Dans le roman, la manière de travailler des Japonais mais aussi le passé font l’objet d’une inspiration beaucoup plus marquée. J’aimerais donc que vous lisiez le roman si vous pouvez vous le permettre.
A ce propos, je serais heureuse qu’il soit traduit un jour. Personnellement, je suis ravie que des francophones s’intéressent à ce roman très japonais. Comme cela semble être le cas en Chine, il se pourrait bien que les problèmes du monde du travail soient un problème commun aux jeunes du monde entier.
Q. A l’instar de Yui Higashiyama, la protagoniste, appréciez-vous de terminer votre travail dans les temps et de profiter de votre vie privée ?
R. Lorsque j’étais dans ma première entreprise, je pensais qu’être un bourreau de travail était une bonne chose. J’étais si fière et pourtant, j’ai épuisé à ce point mon corps et mon esprit qu’il m’était impossible de dormir. Le but était de s’enivrer du travail, de s’y adonner au-delà de ce qui est suffisant pour obtenir un résultat .
Cependant, après être entrée dans ma seconde entreprise, être devenue romancière et avoir fréquenté un lieu de surmenage et de danger, je pense désormais qu’il est davantage professionnel de faire un bon travail, le plus rapidement possible, et dans les délais impartis. Durant l’écriture de ce roman, j’ai donné naissance à mon deuxième enfant et je n’écrivais que quatre heures par jour. Pourtant, ne s’agit-il pas de mon best-seller, celui qui s’est le plus vendu à ce jour ?
Q. Quel est votre roman préféré ?
R. Il y en a trop, mais le roman « Don’t Leave Me » de Kazuo Ishiguro est l’une des dernières nouveautés. C’est un point de vue dramatique du Japon de ces dernières années, mais c’était extraordinaire. J’ai aussi été touchée par le roman «Kim Ji Young, born in 82», qui est devenu un best-seller en Corée. Les écrivains japonais prêtent aussi attention à M. Taiyo Fujii qui a écrit un roman intitulé « Hello World », dans lequel la protagoniste lutte contre la liberté de l’Internet avec le pouvoir de la programmation. Les deux sont des romans qui se concentrent sur le cœur de personne d’âges divers.
Merci beaucoup à Kaeruko Akeno pour sa gentillesse !